Zoom sur la pensée systémique

Les systèmes humains et sociaux sont complexes. Les comprendre l’est encore plus. Ce que le collectif produit n’est pas toujours palpable, évident, perceptible. La pensée systémique intervient justement pour éclaircir ce flou. Elle nous permet de penser notre monde sous un autre angle. Au travers d’outils divers, elle est l’une des voies à emprunter pour clarifier et appréhender les systèmes dans lesquels nous évoluons.

 

Dans le bain de la pensée systémique

Imaginez. Vous rentrez à la maison après une longue journée de travail et rêvez d’un bon bain chaud. Vous ouvrez le robinet, laissez couler l’eau pendant plusieurs minutes, et la refermez. Vous êtes toutefois tellement fatigué·e de votre journée que vous oubliez de surveiller la baignoire. Lorsque vous y entrez, l’eau déborde et se répand sur le carrelage. Vous tirez le bouchon du fond de la baignoire pour vider l’eau quelques secondes avant de le replacer. Vous êtes maintenant fin prêt·e à profiter de votre moment de détente.

Sans même le savoir, vous venez d’expérimenter un des modèles qui constituent la base de la pensée systémique : les flux et les réserves. L’eau coule du robinet à un certain débit, remplit la baignoire qui sert de réserve, et s’écoule par le tuyau à un certain débit. Si le débit du robinet est plus élevé que celui du tuyau, la baignoire déborde après avoir atteint sa pleine capacité; si le débit du tuyau est plus élevé que le robinet, la baignoire ne peut jamais se remplir. Il est possible de jouer avec les flux d’entrée et de sortie d’eau pour obtenir le bain parfait. Et il est tout de même possible de la faire déborder si on rajoute un intrant imprévu, notre corps!

L’analogie de la baignoire montre comment deux paramètres, ici les débits du robinet et du tuyau, influencent l’évolution d’une situation, ici le niveau d’eau. Elle permet aussi de comprendre comment cette situation influence l’état optimal du bain et la décision d’y entrer ou non. Et si on compliquait la situation? Et si on rajoutait d’autres paramètres qui influencent ce qu’on conçoit comme un bain optimal? La température de l’eau? La quantité de savon? La présence d’un canard en plastique? Et si on essayait de schématiser tous les éléments qui font fluctuer ces paramètres, et les liens entre eux? Notre simple baignoire nous apparait rapidement comme un système complexe, composée de plusieurs variables interreliées.

 

Se plonger dans un monde complexe

Si vous ne verrez probablement plus jamais votre baignoire de la même façon, le monde qui nous entoure est également composé d’une multitude de systèmes. Ils peuvent être définis comme un ensemble de composantes interreliées et constamment en mouvement. Si obtenir la condition parfaite pour un bain semble maintenant mériter un certain effort, comment pouvons-nous espérer renouveler la biodiversité de la planète? Réduire le décrochage scolaire au Québec? Lutter contre la pauvreté dans le monde?

En effet, les systèmes humains et sociaux complexes sont très difficiles à comprendre pleinement. Ce manque de compréhension de nos propres systèmes entraîne une réalité où nous produisons constamment des résultats que personne ne désire ni n’a prévu. Comme une grande partie des composantes de ces systèmes et de leurs effets est invisible à l’œil nu, voire au regard collectif, la tâche de concrétiser exactement ce que nous souhaitons qui arrive est d’autant plus ardue. Personne ne souhaite activement détruire des écosystèmes pour son bon plaisir, ou maintenir des populations dans la pauvreté parce qu’elle en tire une grande satisfaction. Pourtant, nous produisons collectivement ces résultats parce que nous ne comprenons pas comment nos systèmes fonctionnent et que nous laissons certains flux l’emporter sur d’autres. Nous laissons notre baignoire commune déborder!

 

Pensée systémique et collaboration

La discipline de la pensée systémique s’est cristallisée dans les dernières décennies en réponse à ces constats afin de rassembler les outils qui pourraient nous permettre de penser notre monde autrement. Les outils de la pensée systémique trouvent leur importance dans l’amélioration des relations interpersonnelles, dans l’avènement d’organisations apprenantes tout comme dans l’élaboration de politiques publiques qui innovent véritablement pour le bien public. C’est une approche transversale qui permet à des personnes de milieux complètement différents de développer un langage commun afin de parler des systèmes qui les unissent et d’ensemble mieux les comprendre. Sans être une fin en soi, c’est un moyen qui porte dans son ADN l’impératif de collaboration du genre humain, ce qui teinte nécessairement nos façons de l’utiliser. La pensée systémique est un incontournable si nous souhaitons démanteler les structures d’oppression diverses qui perdurent sans en créer de nouvelles et bâtir des sociétés qui s’appuient sur le respect de l’intégrité de chaque personne et de la planète.

Tout simple, quoi! Faites-vous couler un bon bain chaud, le travail ne fait que commencer.

Antoine Béland, conseiller stratégique